La couture est menacée par la poussière. Pas de plus grand danger pour cette discipline vestimentaire que d'en faire trop, de virer au costume de théâtre sans premier rôle. Bien sûr, on attend d'elle qu'elle éblouisse, qu'elle fasse rêver. On guette le spectaculaire, on quémande les morceaux
robes de cocktail de bravoure qui mettent en scène le fameux travail d'atelier qui distingue la couture. Et plus on a de moyens à disposition, plus le dérapage est facile. Mais l'époque n'est plus aux flamboyances. La crise a éradiqué le clinquant premier degré. Le luxe est une valeur galvaudée, voire suspecte.
Ce qui distingue désormais les "faiseurs" plus ou moins adroits des grands couturiers, c'est la modernité. Vaste concept, qui sous-entend une capacité à comprendre son temps, à s'y adapter sans se perdre en route, à s'exprimer dans l'économie de moyen tout en convaincant naturellement son public. Comme le style, elle ne s'achète pas, ne se fabrique pas. Dans le monde de la mode, il y a ceux qui l'ont et les autres.
Le calendrier couture est privé cette saison d'un des designers qui maîtrise le mieux l'exercice : Riccardo Tisci. Le directeur artistique de Givenchy, en surdose de projets, a préféré passer son tour cette saison. On ne verra donc pas ses silhouettes reconnues pour leur poésie vénéneuse et urbaine, parfaitement traduites dans le langage technique de la haute couture. Mais Riccardo Tisci n'a pas le monopole de la modernité.
Celle qui s'exprime chez Chanel est l'oeuvre de Karl Lagerfeld. Il maîtrise tellement le vocabulaire et les rouages de la maison (il est à sa tête depuis trente ans) qu'il peut lâcher
robes de cocktail prise, s'amuser. La curiosité naturelle du couturier, entouré de livres, rivé à son iPad mini, lui donne l'ouverture d'esprit nécessaire pour mettre les codes stylistiques de la maison sous perfusion constante de nouveautés.